Le sauvetage de Kilian Jornet par le PGHM : Y a-t-il vraiment polémique ?

Les conditions dans lesquelles Kilian Jornet pratique l’alpinisme font débat. Nous avons vu sa réalisation filmée au Cervin il y a quelques jours Ou encore le 11 juillet, lorsqu’il battait le record d’ascension du Mont-Blanc aller-retour depuis Chamonix en 4 heures 57 minutes,

Mais évidemment, l’Aiguille du Midi n’est pas le Canigou, montagne emblématique pour le Catalan qu’il est. Ca, il le sait, il connaît. Et puis, il s’appelle Kilian Jornet, champion du monde de ski alpinisme. S’il s’était appelé Lambda, personne n’en aurait parlé. Une notoriété qui peut parfois être embarrassante : elle ouvre des portes mais elle impose souvent un devoir d’exemple. A-t-il vraiment failli à l’exemplarité ?

Un secours sans hélico… à l’ancienne ?

Selon RTL : « Bloqué techniquement, le champion espagnol de ski-alpinisme et d’ultra-trail (course en montagne) a été récupéré dans la face nord de l’aiguille du Midi à environ 3.800 mètres d’altitude samedi soir, alors qu’il était équipé, comme à son habitude, de simples baskets et d’un collant ». Et la station de radio poursuit : « En raison du mauvais temps, les secouristes du Peloton de gendarmerie de haute-montagne (PGHM), qui ont refusé de donner plus de détails sur l’intervention, ont dû rejoindre le champion à pied afin de lui porter secours ». Classique. Où est le problème ? Si les gendarmes avaient quelque chose à dire à Kilian, ils ne se sont sûrement pas gêné. Mais c’est une affaire entre eux et lui. Respectons cet échange entre montagnards de haut niveau… Ils savent ce qu’ils font et ce qu’ils ont à dire.

La presse et un élu s’en mêlent…

Mais voilà…. Jean-Louis Verdier, maire adjoint de Chamonix, chargé de la montagne et guide de haute montagne.s’en mêle. Pourquoi ? ‘Inquiet de l’image que ce surdoué de la montagne véhicule’, L’image ! Et il poursuit : ‘La montagne se pratique avec du matériel adéquat. On a le droit de se mettre soi-même en danger, mais on ne peut pas non plus faire n’importe quoi, d’autant plus par mauvais temps’. Il a raison. Mais lorsqu’il y a X morts plus ou moins stupides dans le massif, entend-on raisonner la voix de Jean-Louis Verdier ? Quelle image donnent ces morts à répétition ? Le « matériel adéquat » ? Quelle matériel ? Du temps de Monsieur Charlet, les crampons 12 pointes étaient une hérésie. Et aujourd’hui ?

Quelle est la version de Kilian ?

Avant de polémiquer, il est souvent plus facile de demander directement à l’intéressé. Dans ce cas, pas besoin de demander, il nous livre lui-même sa version sur son blog en 4 langues : catalan, castillan, anglais et…. français. Et là, surprise. Le récit de Kilian et bien différent de celui de la presse ou du maire adjoint de Chamonix. En fait, tous ces commentateurs et donneurs de leçons ne savaient rien. Les gendarmes ont respecté la tradition de « la grande muette ». Il ne peut donc y avoir que la version de l’intéressé. Et il explique qu’ils avaient prévu 4h d’ascension, sont partis à 8h 30 du Plan de l’Aiguille à deux et non seul, que le mauvais temps était prévu à 17h ce qui leur laissait le temps d’atteindre le sommet et redescendre par le téléphérique…. Mais plus encore ils étaient équipés d’une corde 60 mètres, de 2 piolets techniques chacun, de crampons, de broches à glace… Bref ! Du « matériel adéquat » d’alpinisme dont parlait Jean-Louis Verdier, maire adjoint de Chamonix et guide de haute montagne. Kilian aurait-il menti ? Qui peut le dire puisque les gendarmes n’ont rien dit ? Qui peut accuser Kilian avec des arguments prouvés ? Matériel d’alpinisme ou vêtements adaptés pour faire face au pire ?

Faire face au pire.. le pouvait-il ?

Si les gendarmes n’avaient pas pu intervenir, auraient-ils pu faire face à la situation notamment du froid ? Il y a là une véritable interrogation liée à une tendance assez générale actuellement de partir en montagne ultra léger. Il n’est pas le seul dans ce cas. C’est aussi une situation que nous retrouvons chez le randonneur de base. C’est aussi l’éternelle question du léger et rapide ou lourd et lent. Tout dépend des personnes… de leurs capacités techniques et physiques en jouant parfois à la roulette russe avec la météo ou l’incident.

La compagne de Kilian aurait-elle résistée à une nuit de mauvais temps ? Il semble que non selon les informations dont nous disposons. Dans une équipe, le plus fort doit s’adapter au plus faible et prendre les dispositions qui s’imposent en tenant compte de ces paramètres. L’a-t-il fait ? A priori non. Il y a eu, dans ce domaine, un manque probable d’appréciation de la part de Kilian. Erreur qui, fort heureusement, s’est bien terminée et qui lui servira de leçon pour l’avenir.

Et le récit du secours…. en téléphérique !…

Le problème de base n’est pas le mauvais temps mais une erreur d’itinéraire ayant entrainer une durée plus longue que prévue dans la voie. Ça arrive…. C’est la raison pour laquelle Kilian a sans doute manquer de capacité d’appréciation sur la durée. Une trop grande confiance en soi. Nous pouvons donc dire que Kilian a manqué de lucidité en n’imaginant pas cette erreur d’itinéraire dans la sortie du pilier Frendo. Et c’est à 50m du sommet qu’il appelle le PGHM… Par précaution pour sa compagne de cordée qui ne pouvait aller plus loin. Kilian serait sans doute sortie seul mais là encore, il fallait s’adapter au plus faible. Quant aux secours, ils n’arriveront pas à pied, comme l’ont expliqué certains commentateurs, mais par le haut, en téléphérique, pour 50m de rappel. Nous sommes bien loin de tous les récits où les gendarmes récupèrent un pauvre paumé en basket. Equipement trop légers, sans doute… sauf s’il était sortie en 4h, personne n’en aurait rien dit.

Une mauvaise image…

A parler sans savoir et sans connaître en s’inventant une histoire, on prend tous les risques d’une mauvaise image. Mais pour qui ?

La première victime est Kilian Jornet. Victime à double titre. D’une part se faire secourir dans des conditions délicates et d’autre part du manque de professionnalisme de beaucoup de journalistes qui ont franchement déliré et utilisé des titres pour attirer le lecteur. La seconde victime est la profession de journaliste dont nous pouvons douter de la qualité de l’information. On sait ou on ne sait pas. On prend des informations fiables mais on ne refait pas l’histoire. Quant aux autres…. A chacun d’apprécier.

Plaidoyer pour une suite….

Comme des Desmaison, Bonnati, Profit, Escoffier…. Kilian Jornet nous montre la voie d’une nouvelle génération d’alpinistes. Toutes ces grandes figures ont eu leurs détracteurs. Sportif de haut niveau suivant un plan d’entraînement étudié, raisonné pour améliorer ses performances, sa pratique de l’alpinisme n’a rien à voir avec celle d’un guide de haute montagne. Nous ne sommes pas dans la même dimension. Les objectifs, les méthodes, les motivations sont très différents. Aucune comparaison possible même si le terrain de pratique est le même. Alors que depuis plusieurs années, rien de lisiblement nouveau et novateur ne se manifeste en alpinisme, Kilian est le seul a nous faire rêver et à nous surprendre sur des terrains connus des Alpes. L’erreur permet de s’améliorer…

Bravo Kilian. Continue !

Louis Dollo

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