Traversée de la Vallée de la Mort sans assistance et en solo : il l’a (finalement) fait !

Sorti de la Vallée de la Mort, Roland Banas nous a écrit ! Il faut dire que pour des questions de planning rédactionnel pendant les fêtes, nous avions décidé de faire mention de sa tentative avortée de traversée de ce petit coin de désert américain en solitaire et sans soutien extérieur avec un peu de retard.

Un retard fâcheux puisque entre temps Roland Banas a effectué une cinquième tentative, celle-ci enfin victorieuse.

« Je suis retourné a la Death Valley le 27 décembre 2018 et cette fois, j’ai fini la traversée en un peu moins de 7 jours. J’ai fini le 3 Janvier après 266 km dans le désert hors-chemin » nous dit-il. Erreur réparée, félicitation Roland !

Et voici ci-dessous une traduction de son récit du périple publié sur Explorers Web.

« Fin 2015, lorsque j’ai lu sur le Adventure Blog que Louis-Philippe Loncke avait revendiqué la première traversée de la Vallée de la Mort (USA) en solo et sans soutien, deux pensées me sont immédiatement venues à l’esprit. D’abord, j’ai été surpris que personne d’autre ne l’ait fait auparavant. Certes, c’est un défi de 145 milles (233 kilomètres) hors piste sur un terrain accidenté avec un sac à dos très lourd (90 lbs (plus de 40 kilos) avec de l’eau, de la nourriture et de l’équipement). Mais quand même, personne d’autre ? Deuxièmement, cela ressemblait à une aventure à ma portée. Je ne suis pas un explorateur de l’extrême, mais un coureur et un randonneur raisonnablement en forme et cela semblait possible.

Au cours des 3 années suivantes, j’ai essayé et échoué 4 fois avant de le réussir lors de ma 5e tentative, fin décembre 2018. Certains de mes échecs n’étaient pas de mon fait. D’autres étaient le résultat d’une planification inadéquate et/ou d’un manque de fraicheur mentale. Mais quand je suis parti, le 27 décembre 2018, je me suis enfin senti bien ».

Résumé de l’aventure par son auteur

Jour 1

J’ai commencé mon trekking dans le Last Chance Range à la limite nord du parc. Cette région montagneuse est négligée par les visiteurs de la Vallée de la Mort à cause de son éloignement, mais c’est stupéfiant.

De grands Joshua Tree et de petits pins prospèrent et la région a une longue histoire minière. La neige était au sol, le vent soufflait fort et même si c’était le milieu de la journée, la température était à moins un degré Celsius.

Il n’a pas fallu longtemps pour grimper jusqu’au col du Last Chance Canyon avec sa vue imprenable sur le canyon en contrebas.

La descente raide dans le canyon a été difficile à cause du terrain accidenté et du lourd paquetage qui m’a aspiré vers le bas plus vite que je ne pouvais le suivre. Le canyon a été creusé par les eaux de ruissellement des tempêtes, ce qui témoigne de la force brutale des crues éclair dans la région.

Lentement, le canyon s’est ouvert et à environ 11 kilomètres du col, je me suis retrouvé en plein air, regardant la vaste étendue du côté nord de la vallée de la mort. Peu de temps après, le soleil se couchait, entraînant avec lui une température encore plus basse. Me réfugiant un peu derrière des arbustes, j’ai lutté contre le vent pour ancrer ma tente. En cours de route, j’avais endommagé mon matelas gonflable. Le kit de réparation que j’avais n’a pas bien fonctionner à cause de la poussière et du froid et j’ai passé la majeure partie de la nuit à dormir directement sur le sol. J’avais couvert environ 24 kilomètres.

Jour 2

Le lendemain fut l’un des jours les plus faciles du trek. Je me suis glissé dans le Death Valley Wash, un prolongement du Last Chance Canyon, et j’ai suivi son cours. Si près des montagnes, les eaux de crue ont assez de force pour débarrasser le lit de tous les débris et de la plupart des cailloux. J’ai pris 30 minutes à la mi-journée pour faire une réparation plus complète de mon matelas. À la tombée de la nuit, le vent s’était affaibli et j’ai trouvé un endroit abrité pour installer mon campement. J’avais parcouru environ 31 kilomètres.

Jour 3

Le troisième jour a été le début d’un crescendo dans la douleur et les difficultés. Loin des montagnes, les eaux de crue s’étaient répandues et avaient perdu leur force. Progressivement, cela devenait de plus en plus difficile avec de plus en plus de débris et de roches. À la fin de la journée, mes progrès étaient lents et éprouvants. J’ai parcouru 34 kilomètres ce jour-là. Le vent était tombé et la nuit a été calme avec un ciel incroyablement pur et des milliers d’étoiles. Un renard du désert m’a rendu visite et a essayé sans succès d’emprunter quelques unes de mes barres de céréales.

Jour 4

Le quatrième jour a été un véritable point de repère pour moi. Après être finalement arrivé à Mesquite Flats, je suis arrivé à l’endroit où j’ai été forcé d’abandonner trois fois précédemment. Cette fois, au lieu de couper vers Stovepipe Wells, j’ai poussé vers les dunes de sable. Mais mes progrès ont été lents. J’ai échangé le terrain rocailleux et accidenté contre un terrain doux et croustillant qui me rappelait la neige fondue recongelée. Le sol retenait brièvement mon poids avant de craquer et à chaque pas, mon pied s’enfonçait dans la terre molle. Encore et encore. Pendant des kilomètres. C’était exaspérant et épuisant. J’ai finalement atteint les dunes, mais pas la fin de mon combat. Monter et descendre les dunes de sable mou, l’une après l’autre, avec une lourde charge a brûlé beaucoup de mon énergie.

Malgré la lenteur de mes progrès, j’ai finalement atteint la route 190, la route qui divise le parc. Traverser cette route symbolisait pour moi un point de non-retour.

Au lieu de suivre la base de la montagne Tucki (un long détour), j’ai décidé de lui couper l’épaule. Le terrain est rapidement devenu très caillouteux et accidenté et mes espoirs de prendre de la vitesse ont été anéantis.

J’ai marché dans la nuit et j’ai finalement décidé de monter le camp après 33 kilomètres. Là, j’ai passé une autre nuit venteuse et inconfortable.

Jour 5

Le cinquième jour, la douleur et la frustration des deux derniers jours ont atteint un crescendo. Tôt le matin, quand j’ai ouvert ma tente, une rafale de vent a emporté le sac zip-lock avec ma poubelle et le sac de mon matelas. J’ai couru en chaussettes et j’ai attrapé les ordures, mais, sur les rochers abrupts, au petit matin, j’ai rapidement perdu de vue le sac. Frissonnant et me demandant ce que je faisais dehors en sous-vêtements, je suis retourné à ma tente. Plus tard, après avoir descendu le versant de la montagne, je me suis retrouvé sur le même terrain lent, mou et croustillant. Encore une fois, sur des kilomètres. Quand je pensais que le terrain ne pouvait pas empirer, c’est arrivé. En s’approchant de Cotton Ball Marsh, le sol redevenait dur, couvert de belles formations cristallines, mais extrêmement acérées. Chaque étape exigeait de se concentrer.

A ce moment-là, même si j’étais déterminé à continuer quoi qu’il arrive, j’étais très attaché à une citation de Karl « Speedgoat » Meltzer : « Les choses ne s’aggravent jamais toujours ». Le terrain s’est finalement assoupli. Je me promenais maintenant autour de petites mares d’eau salée peu profondes, bordées de fins bords cristallins d’à peine quelques centimètres de haut : l’un des nombreux joyaux cachés de la Vallée de la Mort. Les progrès étaient plus rapides à présent.

Peu de temps après, je suis entré dans une étendue de vasière, une partie du marais, qui m’a facilité la progression. Boueux dans certains endroits et rude dans d’autres, je l’ai apprécié. Le reste de la journée a été plus facile, le terrain alternant entre un peu mou et rocheux, mais ma progression a été régulière.

J’ai atteint le Devils Speedway au coucher du soleil et installai mon campement sur le plat, à l’abri du vent, derrière un arbuste dans un petit fossé. J’ai parcouru environ 36 kilomètres ce jour-là.

Jour 6

Le sixième jour, j’ai fait des progrès rapides. Le bassin de Badwater était assez sec pour supporter mon poids.

Et je me suis vite retrouvé dans la zone la plus lisse et la plus plate de la Vallée de la Mort. Sans repères visuels rapprochés, je naviguais avec l’étrange impression de ne pas avancer du tout.

J’ai atteint le lit de l’Armagosa, sec dans cette zone, et je l’ai suivi sur près de 20 km. Comme le lit de la rivière devenait trop boueux pour bien progresser en toute sécurité, je me suis dirigé vers le sud-ouest jusqu’au bord du bassin où le terrain est plus sablonneux et plus rocheux. J’ai installé le camp après environ 39 kilomètres.

Arrivé près de la fin de mon parcours, j’ai décidé de réduire la quantité d’eau que j’ai alors transporté un minimum de 2 litres par sécurité. J’ai jeté plusieurs litres et allégé mon sac de manière significative.

Jour 7

Le 7ème jour, pas tout à fait réveillé, une erreur de navigation m’a ramené au lit de la rivière Armagosa, à des kilomètres au nord de l’endroit où je l’avais prévu. L’Armagosa est un cours d’eau intermittent, long de 298 km, qui draine une région désertique du Nevada et de la Californie avant de disparaître dans l’aquifère souterrain de la Vallée de la Mort. A l’exception d’une petite partie de son parcours dans le canyon d’Amargosa (CA) et à Beatty (NV), la rivière ne coule en surface qu’après qu’une rare tempête de pluie ait balayé la région. À ma grande surprise, j’ai recontré la rivière, qui coulait paresseusement au-dessus du sol pendant un certain temps avant de disparaître à nouveau sous terre.

Le terrain n’était pas idéal, mais tout de même gérable et j’ai suivi le lit de la rivière jusqu’à ce qu’il soit complètement asséché.

La rivière Armagosa traverse le Jubilee Wash et le Rhodes Wash avant d’atteindre le sommet du paysage lunaire de Confidence Hills. Comme le lit de la rivière devenait trop sinueux, j’en suis sorti et j’ai commencé à couper par des lignes droites. Le terrain était maintenant facile et assez plat. En me souvenant du bain de boue que j’avais accidentellement pris lorsque j’avait fait ma quatrième tentative (en commençant au sud à cette époque), je savais que suivre le lit de la rivière me mènerait à une zone active de la rivière avec de profonds marais. J’ai donc décidé de couper par-dessus l’épaule des Ibex Hills en une ligne presque droite jusqu’à l’arrivée.

La distance était trop longue pour finir ce jour-là, mais je voulais que le dernier jour soit aussi court que possible. De plus, j’ai réalisé plus tôt dans la journée que je pourrais peut-être terminer mon trek en un peu moins de 7 jours. Alors, c’est devenu un jeu. J’ai poussé dans la nuit. La navigation était difficile car il n’y avait pas de lune. J’ai finalement décidé d’installer mon campement après être redescendu de la montagne. J’ai parcouru 47 km ce jour-là et j’avais mal aux pieds. J’ai jeté plus d’eau et j’ai gardé ce dont j’avais besoin pour la dernière journée avec une certaine marge de sécurité. La température est tombée sous le point de congélation cette nuit-là et le matin, mon eau a partiellement gelé.

Jour 8

Mon dernier jour, je me suis réveillé 30 minutes avant l’aube, bien avant le lever du soleil et je suis parti rapidement. J’espérais que le terrain serait lisse et facile jusqu’à la fin, mais la Vallée de la Mort avait un dernier rebondissement en réserve pour moi. J’ai fini par arriver dans un marais mou et sec pendant près de 10 km avant de me reconnecter avec le lit sec de l’Armagosa.

J’ai commencé à marcher aussi vite que possible pour ne pas arrivé après le délai que je m’étais fixé. Une heure plus tard, j’atteignais le monument Harry Wade, la fin de mon voyage à 11h14… avec 5 minutes d’avance. J’ai marché environ 22 km le dernier jour, portant ma distance totale à 266 km parcourus en 6 jours, 23 heures et 55 minutes.

Quelques réflexions

Dans l’ensemble

Ça en valait la peine ? Oui, tout à fait d’accord. Douloureux ? De temps en temps. Solitaire ? Isolé ? Tout le temps.

Je me suis préparé mentalement en m’attendant à un trek plus horrible qu’il ne l’a été en fin de compte. Ne vous méprenez pas : ce fut le trek le plus difficile que j’ai jamais fait. Mais il s’est aussi avéré que c’était très gérable. Les journées étaient longues et le terrain impitoyable. Pourtant, je suis rapidement tombé dans un rythme. Oublier les kilomètres et se concentrer sur l’avenir. « Lent et régulier » était un de mes mantras. « Petit a petit, l’oiseau fait son nid » en était un autre. Après quelques jours, j’ai aussi commencé à apprécier de petits moments comme regarder le soleil se lever, manger un Bobo’s bar, découvrir des coins de la Death Valley que peu de gens voient, deviner des traces d’animaux, glisser dans mon sac de couchage chaud épuisé le soir, regarder les étoiles, etc.

J’avais mal aux épaules et au cou pendant les premiers jours (avec la charge la plus lourde). Et mes pieds n’appréciaient pas les battements constants sous mon poids combiné avec celui du sac à dos. Mais dans l’ensemble, la douleur que j’ai ressenti a composé un bruit de fond ennuyeux plutôt qu’un cri aigu. Mon corps et mon esprit s’y sont lentement adaptés et ont surtout filtré la douleur pendant la journée.

J’avais besoin de relever le défi de me débrancher de ma vie quotidienne pendant un certain temps. Pour réinitialiser. Et je l’ai fait.

Ce qu’il y a de mieux dans un trekking comme celui-ci : on peut pleurer, chanter, crier et péter quand on veut. Il n’y a personne pour juger.

Le pire : il n’y a personne pour se soucier (de vous).

Vitesse

Je n’ai pas entrepris ce trekking aussi vite que possible ou plus vite que Louis-Philippe Loncke (8 jours environ). Après avoir échoué plusieurs fois, j’ai seulement voulu le finir. Il s’est avéré que j’ai marché plus vite que prévu. Les conditions météorologiques étaient presque idéales (sauf peut-être pour les vents de Santa Anna). Je n’ai pas non plus réglé mon équipement pour être aussi léger et rapide que possible, optant plutôt pour une marge de sécurité saine. Mes provisions consistaient en 8,5 jours de nourriture et 8 jours d’eau qui pouvaient facilement être étirés à plus. Si je devais le refaire en pensant à la vitesse, je réduirais mon eau au minimum (18 litres pour 6 jours ou 3 litres/jour), je réduirais aussi la nourriture, je laisserais la tente et partirais pour une semaine froide en hiver. Mon paquetage serait plus léger de 9 kilos pour être à environ 30 kilos.

Température

La Vallée de la Mort est connue pour ses extrêmes en été lorsque les températures sont supérieures à 50 degrés Celsius sont fréquentes. Mais même pendant les mois les plus froids, la température diurne peut être paralysante pour les activités de plein air. Je me suis intentionnellement mis en route au cœur de l’hiver, espérant une température fraîche le jour et j’ai eu de la chance. Par conséquent, je pouvais marcher plus vite sans transpirer ni surchauffer.

D’autres comme Louis-Philippe ont choisi de se lancer d’autres défis à partir de l’automne pour expérimenter la chaleur du désert. En octobre ou novembre, la température diurne peut facilement dépasser 30 degrés Celsius et peut même atteindre 40 degrés sans tenir compte de la réflexion du sol. Avec ces températures, les progrès sont plus lents et la gestion de l’eau est essentielle.

1er ? 2e ? Énième ?

Comme je l’ai mentionné plus tôt, j’ai été étonné que personne ne l’ait fait avant Louis-Philippe. Lorsque j’ai fait des recherches sur le trekking, la seule traversée sans support que j’ai pu trouver était celle de Louis-Philippe Loncke. Mais récemment, j’ai parlé avec Helen Thayer, une exploratrice du National Geographic Explorer et une aventurière incroyable qui a voyagé aux pôles, fait 4000 miles dans le désert du Sahara et 1600 miles dans le désert de Gobi. Après m’avoir félicitée, elle m’a dit que son défunt mari et elle avaient utilisé la Vallée de la Mort comme terrain d’entraînement et qu’ils avaient effectué la traversée plusieurs fois sans aide. Helen est retournée seule en 2017 en mémoire de son mari et en 2018 avec son chien, Sam. Elle a entendu parler d’autres personnes le faisant aussi, mais elle n’est pas certaine du chemin qu’elles ont suivi ou si elles en ont couvert toute la longueur. Au moins en 2017 et probablement en 2018, elle a beaucoup utilisé les routes (terre et asphalte) quand Louis-Philippe et moi sommes restés strictement hors piste.

Il est important de souligner que Louis-Philippe a également fait des recherches approfondies à ce sujet : rangers locaux, Explorers Club, Royal Geographical Society, Société des Explorateurs Français et toutes les ressources en ligne de la Vallée de la mort qu’il a pu trouver. Il est parti dans l’esprit d’une première traversée, avec des paramètres stricts, et l’a documentée comme telle, ignorant qu’elle pouvait avoir été faite auparavant.

Est-ce important pour moi que je ne sois pas la 2e personne à le faire ? Non. D’une certaine façon, bien au contraire. La Vallée de la Mort est un incroyable terrain de jeu. C’est très difficile, mais avec des trackers GPS modernes et un certain nombre de points de sortie et de sauvetage possibles, c’est un endroit idéal pour se pousser soi-même dans une sécurité raisonnable. Quand j’ai décidé de le faire, c’était naturellement pour me mettre au défi, mais je voulais aussi partager l’expérience afin d’encourager les autres à essayer, de montrer aux autres qu’il n’est pas nécessaire d’être un aventurier extrême pour avoir une vraie aventure. Alors, qui est le suivant ?

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