Triomphe et controverse : les femmes des 14 8.000 mètres

A peine un jour après que la chinoise Luo Jing ait annoncé avoir complété les 14 8.000 avec l’ascension du Shishapangma, d’autres alpinistes critiquent déjà cette déclaration. Personne, disent-ils, n’a atteint le sommet principal du Shishapangma ce jour-là.

Ceux qui ont tenté le sommet ce jour là se sont arrêté à 8.008m affirment deux chiliens et espagnol présents sur place. Les deux chiliens ont expliqué qu’une grande expédition, décrite comme la « Grande Muraille de Chine » a dominé la montagne et a imposé sa stratégie aux autres équipes.

Ces alpinistes chinois ont décidé d’opter pour l’ascension de Shishapangma Central au lieu de parcourir la route basque vers le sommet principal. De quoi décrédibiliser le récit de Luo Jing. Et cela rappelle certaines choses.

Les femmes et les 14 8.000

Car il y a dix ans, la controverse naissait déjà sur la première femme réaliser les 14 8.000 rappelle Explorers Web.

Plus ou moins volontairement, une poignée de femmes se sont retrouvées mêlées à ce qui équivalait à une guerre non déclarée dans ce dossier. La révolution des communications qui explosait à l’époque amplifiait chacun de leurs gestes et de leurs réalisations, mais aussi chaque échec et chaque suspicion.

En mai 2010, la grimpeuse basque Edurne Pasaban se tenait au sommet du Shishapangma avec une équipe de télévision. La jeune femme de 36 ans venait de remporter une course qu’elle affirmait ne pas vouloir faire, mais une course qu’elle s’était finalement dépêchée de terminer. Avant tout le monde.

Edurne Pasaban avait grimpé avec toutes les armes d’une expédition moderne : des alpinistes chevronnés en soutien, une couverture télévisée et de grands sponsors.

Elle avait utilisé de l’oxygène supplémentaire sur l’Everest et lors d’une descente angoissante sur le K2. D’un autre côté, elle avait toujours été claire sur sa stratégie et ses ascensions ont été entièrement documentées.

Le projet de Edurne Pasaban est cependant dans un premier temps éclipsé par les ressources mobilisées par sa concurrente le plus acharnée : la sud-coréene Oh Eun-sun. En 2008, Oh Eun-sun avait déjà grimpé cinq 8.000 mètres, et ses sponsors avaient parié sur une course non-stop vers les neuf autres.

Cela comprenait des voyages en hélicoptère de camps de base en camps de base, où des équipes de sherpas étaient en train de préparer les voies d’ascension. Le projet comprenait également l’utilisation très large de l’oxygène et des sherpas en support en haute altitude.

L’alpiniste coréenne ne parlait pas publiquement de ces méthodes, mais ses intentions étaient claires comme de l’eau de roche : elle était là pour remporter le match. Elle avait coché quatre 8.000 mètres pour 2008 et quatre autres pour l’année suivante.

Sa compatriote sud-coréenne Go Mi-sun, qui reliait également les sommets à une vitesse étonnante, avait alors brusquement mis fin à sa carrière de la pire façon possible : en mourant à la descente sur le Nanga Parbat.

A cette époque, l’italienne Nives Meroi et son mari Romano Benet relevaient également le défi des « 14×8000’er ». Le couple grimpait alors dans certaines conditions qu’il s’était imposées : toujours ensemble, jamais avec un supplément d’oxygène.

Le tournant du Kangchenjunga

Les trois femmes ont partagé le camp de base de Kangchenjunga au printemps 2009. Nives Meroi a avorté sa tentative lorsque son mari est tombé gravement malade.

Edurne Pasaban et Oh Eun-sun ont toutes les deux atteint le sommet, à des jours différents. Leurs réalisations ont attiré l’attention de la communauté des grimpeurs du monde entier. La fin du match approchait, et la grande finale se jouait entre les deux.

Et déjà les téléphones satellite et les ordinateurs étaient en place dans les camps de base. Les journalistes fournissaient aux médias du monde entier des images, des anecdotes humaines, des dates, des chiffres et des informations pour ceux qui ne connaissent pas l’escalade en haute altitude. L’intérêt pour ce genre d’histoire a donc augmenté, mais les soupçons aussi.

Alors que la grimpeuse espagnole avait toujours fait la preuve de son succès, la secrète Miss Oh refusait de donner une réponse satisfaisante lorsqu’on lui demandait de réfuter les témoignages troublants d’autres grimpeurs sur son ascension au Kangchenjunga en 2009.

Problème, car aucun témoin autre que son sherpa personnel ne pouvait témoigner en sa faveur. Ajoutez des rapports indiquant que Oh était trop faible pour aller au sommet, ou encore une photo du sommet douteuse (sans points de référence) et qu’elle a finalement admis être une photo post sommet.

Conséquence : au moment où Oh Eun-sun se dressait fièrement sur l’Annapurna I en avril 2010 – cette fois avec une équipe de télévision diffusant en direct du sommet par satellite – et était proclamée la première femme à terminer les « 14×8000’ers », les ombres sur son CV d’alpiniste étaient trop sombres pour les ignorer (lire Critiques: l’alpiniste Eun-Sun se défend).

Après des recherches approfondies et une série d’enquêtes, le site ExplorersWeb invalidait sa tentative sur le Kangchenjunga.

Elizabeth Hawley, de la base de données de l’Himalaya, avait également estimé que la demande de Mlle Oh était « contestable » et avait suggéré qu’elle retourne au Kangchenjunga.

Même la Fédération alpine coréenne avait déclaré que sa photo du sommet était insuffisante pour prouver ses dires.

Conséquence finale : la couronne des 14 8.000 passait à Edurne Pasaban et ses clichés parfaits des sommets (lire Pasaban dénonce Oh Eun-Sun).

Premier succès sans oxygène

Si les sommets réalisés par Edurne Pasaban n’ont pas été contestés, certains ont estimé que le véritable défi consistait à atteindre les 14 sommets sans oxygène. Comme Reinhold Messner.

Et sur ce créneau, l’autrichienne Gerlinde Kaltenbrunner évoluait sous les radars médiatiques (enfin presque). Et loin des grandes expéditions, des guides de haute altitude et, bien sûr, de l’oxygène en bouteille.

Elle grimpait avec des amis proches ou son mari, Ralf Dujmovits. Elle était considérée comme une grimpeuse de haut niveau, et était considérée comme un atout par les équipes d’alpinistes les plus fortes. Plusieurs de ses compagnons réguliers de cordée ont à ce titre réalisé les 14 8.000 : Dujmovits, Hirotaka Takeuchi, Vassili Pivtsof et Maxut Zhumayev.

Gerlinde Kaltenbrunner devint donc la première femme a faire les 14 8.000 sans oxygène en 2011, sur le K2. C’était sa quatrième tentative sur ce sommet et l’aboutissement d’une carrière unanimement reconnue.

Quant à Nives Meroi, elle est restée avec son mari Romano BenetMeroi pendant sa maladie et sa longue convalescence. Lorsque les deux ont retrouvé la forme, elle a repris sa quête et a terminé son dernier sommet, l’Annapurna, en 2017, à l’âge de 56 ans. Fidèle à ses critères d’origine, elle a fait les 14 sommets avec Romano Benet. Et sans oxygène.

La vie après les 14x8000ers

La première génération de femmes a avoir réussi les 14×8000’er est désormais retirée des affaires, et des titres de presse.

Edurne Pasaban a tenté sans succès l’Everest sans oxygène en 2011. Elle se concentre désormais sur son business de guide et une vie personnelle plus centrée sur sa famille.

Oh Eun-Sun a été présidente du club d’alpinisme féminin coréen entre 2011 et 2013. Elle reste très discrète.

Le site web de Gerlinde Kaltenbrunner décrit des ascensions caritatives, des conférences et des documentaires télévisés. Récemment, le couple a grimpé les 5.609 m du mont Damavand, le plus haut sommet de l’Iran.

Enfin, Nives Meroi et son mari prévoient de se rendre dans l’Himalaya en 2019.

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