Comment faire pour retirer les corps de l’Everest ?

L’Everest, point culminant de la planète, est le seul endroit au monde où les alpinistes passent sans affection apparente devant les corps sans vie d’autres alpinistes.

D’une manière générale, après chaque tragédie sur les pentes du mont Everest, les gens posent une question qui parait raisonnable raisonnable : les cadavres de ces alpinistes peuvent-ils être descendus des pentes de la plus haute montagne du monde ?

Le débat est alimenté par la presse, les journalistes qualifient la situation de « cimetière à ciel ouvert le plus élevé du monde » et de « morts dans les nuages ».

Mais combien il y en a-t-il ?

De 1922 à 2018, près de 300 personnes sont mortes sur les pentes du mont Everest. Les premiers décès connus sont ceux des alpinistes anglais George Mallory et Andrew Irwine en 1924. Le corps de Mallory a été accidentellement trouvé en 1999 tandis qu’il n’y a toujours aucune évidence au sujet d’Irwine.

Mallory et Irvine.

Mais Chomolungma, la montagne mère, enlève surtout ses enfants. Plus d’un tiers des victimes sont des Sherpas. Leurs morts ont commencé en 1922. Selon les statistiques, les Sherpas ont 3.5 fois plus de chances de mourir sur l’Everest que n’importe quel fantassin américain durant les quatre premières années de la guerre en Irak.

Mort sur l’Everest. George Mallory.

Généralement, les gens meurent sur l’Everest à cause des avalanches et des incidents, qui sont tout simplement mortels à haute altitude. Jusqu’en 2017, 292 personnes sont mortes sur les pentes de l’Everest, et ce nombre devrait malheureusement augmenter. Au cours de l’année 2017 (qui ne peut être considérée comme une année fatale), le Chomolungma a fait six victimes, dont Ueli Steck, grimpeur professionnel et expérimenté suisse (et récipiendaire de deux Piolet d’Or).

Pourquoi un tel niveau de décès ?

Les alpinistes appellent la zone au-dessus de 8 000 mètres la «zone rouge» ou la «zone de la mort». Quiconque atteint ce point est conscient du fait qu’il n’y a pas de secouristes au cas où ils tomberaient malades ou qu’un accident se produirait. Edouard Wyss-Dunant, chef de l’expédition suisse de 1952, fut le premier à mettre ce terme en exergue.

La pression atmosphérique à des altitudes supérieures à 8 000 est inférieure à 35,6 kPa (267 mm Hg). Le niveau d’oxygène de l’air n’est pas suffisant pour rester en vie (par exemple, sur les plaines d’Europe centrale, à une hauteur de 50 à 100 m, la pression est de 760 mm Hg ou 101 kPa).

Pour comprendre ce que les grimpeurs ressentent au sommet du monde, imaginez-vous sur l’aile d’un avion, ou essayez de respirer trois fois moins souvent qu’à l’habitude. Dans ces conditions, ils doivent évoluer sur un terrain complexe, escalader parfois des zones verticales rocheuses, et ce à une température de -20 ° C à -40 ° C …

Les vents sur l’Everest peuvent atteindre 78 mètres par seconde. A titre de comparaison, la vitesse du vent d’un ouragan de 5ème catégorie est de 70 m/s.

De nos jours, grâce aussi aux prévisions météorologiques modernes, les organisateurs planifient les ascensions pour que les gens ne montent pas pendant la présence de ces vents violents sur les pentes de l’Everest. De fait, les expéditions commerciales accordent une attention particulière aux prévisions.

Mais il ne s’agit pas seulement de vent et de froid. Il y a aussi des tremblements de terre, des défaillances du système corporel dans des conditions extrêmes, des défaillance de l’équipement qui approvisionne en oxygène, des ruptures de corde, des erreurs lors du choix de l’équipement.

En conséquence, même les alpinistes professionnels, les sherpas et ceux qui veulent dépasser leurs limites humaines sur le Toit du Monde, perdent la vie.

No Man’s Land

Dans de telles conditions inhumaines, les lois humaines ne s’appliquent pas non plus. Cependant, les personnes qui n’ont jamais visité les hautes altitudes ne comprennent souvent pas les règles de la « zone de la mort » et sont prêtes à condamner l’alpiniste qui passe devant un cadavre à huit mille mètres d’altitude sans se retourner.

Mort sur l’Everest. David Sharp.

L’un des exemples les plus frappants de ce type de polémique a été la mort du grimpeur britannique solo David Sharp en 2006. Près de 40 personnes l’ont dépassé. À 8.500 mètres d’altitude, David Sharp était épuisé et ne pouvait plus bouger. Il s’est assit à côté du célèbre cadavre «Green Boots» (qui est peut-être celui de Tsewang Paljor, un grimpeur indien mort sur l’Everest en 1996).

Mort sur l’Everest. Tsewang Paljor, dit Green Boots.

Certains grimpeurs n’ont tout simplement pas remarqué David Sharp dans l’obscurité. D’autres ont assuré qu’ils l’ont confondu avec Tsewang Paljor, parce que l’alpiniste portait … des chaussures d’alpinisme vertes, et que David Sharp ne bougeait pas du tout. Quoi qu’il en soit, le britannique est mort d’hypothermie (et devint la 199 ème victime sur l’Everest). Un an plus tard, comme sa famille le demandait, son corps a été déplacé et caché de la voie d’accès à l’Everest.

Le problème du sauvetage sur l’Everest comporte de nombreux aspects. David Sharp est allé seul vers le sommet : sans guide, sans sherpa. Il s’est mis dans une situation où, en cas d’urgence, il pourrait se retrouver seul sur la montagne sans aide, et, malheureusement, c’est ce qui s’est passé.

Il est donc difficile d’accuser les touristes qui ont dépassé David Sharp. Ces gens qui pour la première fois gravissaient cette route dans des conditions extrêmes, qui étaient nouvelles pour leur corps, n’étaient pas vraiment conscients de la situation.

Peut-être était-il normal qu’un grimpeur s’assoie pour se reposer ? Par ailleurs, tous les alpinistes ont entendu parler de centaines de corps sur l’Everest, peut-être que c’était l’un d’entre eux ?

Francys Arsentiev

De plus, David Sharp était inconscient et ne réagissait pas, même lorsque les grimpeurs lui parlaient ou lançaient le rayon d’un frontale dans sa direction. Malheureusement, son destin était scellé.

Le cimetière à ciel ouvert

L’Everest a été témoin à plusieurs reprises de la plus haute manifestation du courage humain, tout comme des profondeurs de la bassesse humaine. Mais depuis ses dernières années, la situation des corps des morts sur les routes de l’Everest change progressivement.

Le corps de la « Belle au Bois Dormant » – Francis Arsentiev-Distefano – a ému (elle fut la première alpiniste américaine à réaliser une ascension sans oxygène mais ne pu redescendre sous l’altitude de 8.200 mètres en 1998).

Mort sur l’Everest. Hannelore Schmatz.

Les vents violents ont fait disparaître le cadavre de « Green Boots » (le corps a été redécouvert en 2017, mais loin de la voie où l’homme est mort). La même chose est arrivée à la « femme allemande » (Hannelore Schmatz est morte en descendant en 1979). En 1984, deux népalais sont morts en essayant de la déplacer. Pendant de nombreuses années, le vent a fait progressivement tomber vers le bas de la pente la femme assise et gelée aux cheveux gonflés. Aujourd’hui, Hannelore n’est plus visible.

Et maintenant ?

Malgré des statistiques alarmantes, le nombre d’ascensions vers l’Everest ne diminue pas. Périodiquement, des vagues de publications appellent à descendre des cadavres du toit du monde.

Certains corps ont été déplacés, parfois par les forces de la nature, parfois par des personnes. Cela est devenu possible, en partie, parce que chaque année les grimpeurs et les Sherpa se retrouvent en nombre croissant sur l’Everest. 648 personnes ont gravi le sommet de l’Everest en 2017.

On parle beaucoup du fait que sur l’Everest on voit des « piles de corps » et que les alpinistes les « franchissent » littéralement, et que cela n’entraîne aucune considération morale.

Cette information n’est pas vraie. Si vous considérez cela d’un point de vue technique, il y a près de 300 corps sur les pentes de l’Everest, mais aujourd’hui, en montant, un alpiniste peut en trouver deux ou trois. Les corps sont isolés les uns des autres.

Normalement, les gens rencontrent les morts pendant la descente, parce que quand tout le monde grimpe au sommet, il fait encore nuit. Donc, l’idée de « alpinistes enjambant les morts » ne peut pas être utilisée comme justification morale pour enlever les corps.

Si un alpiniste meurt au-dessus de 8.000 mètres à une température de -35° C, après un certain temps, son corps se transforme en glace. De plus, après quelques jours en altitude, il se fige dans la pente. Dans de telles conditions, il est presque impossible de séparer physiquement le mort de la surface du sol. À cet égard, l’idée de « descendre un corps » est problématique.

Si nous sommes impartiaux et cyniques, voici une formulation pour résumer la situation : pour les détacher du sol, certains des corps glacés devront être brisés en morceaux, ce qui est assez éloigné des notions de «funérailles respectueuses».

Mais certaines personnes ont beaucoup de pouvoir et d’argent. Tout dépend de leur volonté et de leur portefeuille. Tout dépend donc du financement, car c’est une opération très coûteuse. Tout d’abord, il faut des ressources humaines, car aux altitudes où se trouvent les corps, l’utilisation des hélicoptères est limitée. Le travail humain est prioritairement requis. Et cela ne peut être une opération bénévole Les sherpas y participeront, mais leur service exigera de l’argent.

Aujourd’hui, la plupart des corps sur la route Nord classique (du côté du Tibet) se trouvent dans le couloir de la mort. Il est situé au-dessous de la deuxième étape, sous les 8.000 mètres, environ là où le corps de George Mallory a été retrouvé. Si quelqu’un meurt sur cette crête en montant ou descendant, le corps se retrouvera dans ce couloir ou sur les pentes verticales du Mur Sud.

Hillary Step, jusqu’en 2015.

En venant du Népal, les alpinistes peuvent mourir ailleurs. Jusqu’en 2015, le Hillary Step était un danger majeur. Jusqu’à ce qu’un tremblement de terre détruise cette crête de neige et de glace de 13 mètres de haut, entourée de falaises abruptes. En mai 2017, le grimpeur anglais Tim Mosedale a confirmé qu’il n’y a plus cet obstacle. Selon lui, maintenant l’ascension et la descente sont encore plus dangereuses. Jusqu’alors, la voie était assurée par des cordes fixes. Désormais, la surface de la pente est instable.

Descendre un corps au camp de base n’est pas seulement difficile. C’est très difficile en fait. Un corps glacé pèse environ 100 kg. S’il est finalement possible de le séparer de la pente, il sera nécessaire non seulement de descendre le corps à l’aide de 10 à 15 sherpas, qui devront des-ecalader des rochers très escarpés. Et il y en a beaucoup sur la route. Cela nécessitera un système de cordes fixes et au moins une douzaine de grimpeurs expérimentés. Et cela n’est pas sans danger comme le montre le décès des deux népalais qui ont tenté d’évacuer le corps d’Hannelore Schmatz.

Vous pouvez calculer un coût approximatif d’expédition de descente d’un corps en prenant en compte le coût de l’ascension de l’Everest par personne entre 40.000 et 100.000 dollars. N’oubliez pas d’ajouter la location de l’hélicoptère : de 5.000 dollars à 20.000 dollars par vol (mais ils ne vont pas plus haut que le camp de base de l’Everest, 5364 m). Et les vols en territoire tibétain sont complètement interdits par le gouvernement chinois (à l’exception des cas de force majeure).

Everest.

Bien sûr, il y a eu des cas où un hélicoptère a pu voler jusqu’à 12.000 mètres ou a pu atterrir sur le sommet de l’Everest. Mais ce sont des événements uniques qui peuvent être classés dans la case bravoure (ou marketing selon le point de vue). Et il n’est pas possible de les répéter régulièrement.

Y a-t-il d’autres moyens ?

En 2017, un projet visant à couvrir certains corps, définitivement abandonnés sur l’Everest, avec un matériau spécial, a été mis en place. Et une question reste ouverte : combien de temps ce tissu peut-il résister ?

Couvrir les corps avec des pierres ? Les plus petits pierres peuvent être emportés par le vent, et surtout, combien de pierres une personne peut-elle transporter à une vitesse d’un ou deux pas par minute ?

La question de la « descente » ou de « l’enterrement » des corps sur le mont Everest avec tout le respect du aux défunts, ne sera probablement pas résolue dans un proche avenir. Pourquoi?

La communauté des alpinistes n’est pas d’accord sur le sort à réserver aux cadavres de l’Everest. Certains veulent essayer d’enlever tous les corps. D’autres veulent s’assurer que tout reste tel quel. Cependant, si le taux de mortalité reste au niveau de 2017, en ajoutant six cadavres chaque année, au bout d’un moment, ce problème devra être tranché. Il serait donc utilise qu’une décision soit prise.

Pour aller plus loin sur ce sujet

3 réflexions au sujet de “Comment faire pour retirer les corps de l’Everest ?”

  1. « … Généralement, les gens meurent sur l’Everest à cause des avalanches… »

    Le nombre de morts par avalanche sur Everest est insignifiant en comparaison avec les causes les plus fréquentes, chutes, épuisement, mauvaise ou insuffisante préparation physique, défaillances de l’équipement, manque d’expérience à la très haute altitude. Il ne faut pas passer sous silence le fait que la quasi totalité des candidats au somment est composée de « alpinistes du dimanche » fortunés qui de par leur (manque d’) expérience, n’a rien à y faire sur cette montagne. Les guides et sherpas qui ont laissé leur vie sont les victimes « co-latérales » en ayant tenté de sauveur leur clients (Doug Hansen, Scott Fischer, etc.)

    Enfin, il serait nécessaire de corriger l’ultime ligne de l’article qui ne veut rien dire…
    « … Il serait donc utilise qu’une décision soit prise. »

    Répondre
  2. Article très intéressant, et riche en explications et exemples. Merci.
    Je relève seulement une petite erreur : Ueli Steck n’est pas décédé à l’Everest, mais au Nuptse. Il s’acclimatait pour tenter la liaison Everest – Lhotse sans retour au camp de base. Steck ne fait donc pas partis de la liste des alpinistes mort sur Chomolungma.

    Répondre

Laisser un commentaire

12 − onze =